3 juin 2015

CFTC BPCE Sa: DROIT, L'autonomie d'un salarié soumis à une convention de forfait annuel en heures ne rime pas avec une totale liberté d'horaires

L'autonomie d'un salarié soumis à une convention de forfait annuel en heures ne rime pas avec une totale liberté d'horaires
Une convention individuelle de forfait annuel en heures n’instaure pas au profit du salarié un droit à la libre fixation de ses horaires de travail, indépendamment de toute contrainte liée à l’horaire collectif fixé par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction.
Les faits

Un salarié est engagé par une société en tant que contrôleur. Quelques années plus tard, par avenant, il est convenu que le salarié occupera un poste de chef d’équipe sur la base d’un forfait annuel en heures de 1 767 heures, eu égard à l’autonomie effective dont il bénéficie dans l’organisation de son emploi du temps et du caractère non prédéterminé de sa durée du travail.

Compte tenu de difficultés de production et afin de résorber les retards accumulés, l’employeur a décidé d’augmenter temporairement la plage horaire des ateliers de production en mettant en place deux équipes : la première équipe de 5 heures à 13 heures et la seconde de 10 heures 30 à 18 heures.


Le salarié a continué à se présenter à son poste de travail à ses horaires habituels, c’est-à-dire à 8 heures 30, refusant ainsi d’appliquer la nouvelle organisation de travail mise en place par l’employeur. Après plusieurs mises en demeure de se conformer aux nouvelles directives, le salarié a été licencié pour faute grave.

Les demandes et argumentations

Le salarié a saisi les juridictions prud’homales afin de contester son licenciement. Ce dernier invoquait la liberté d’horaires prévue par la convention de forfait annuel en heures. Selon lui, le fait de lui imposer un horaire d’arrivée constituait une modification de son contrat de travail.


En première instance, les conseillers prud’homaux ont donné raison au salarié et ont considéré le licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse.


La Cour d’appel de Toulouse a confirmé ce jugement et retenu que le fait d’imposer au salarié de respecter des horaires fixes constitue une modification du contrat de travail supposant l’accord exprès du salarié. L’employeur ne peut reprocher au salarié de ne pas effectuer un travail commençant nécessairement à un horaire fixe alors qu’il avait reconnu à l’intéressé l’autonomie dans l’organisation de son emploi du temps(1).

L’employeur a alors formé un pourvoi en cassation. Ce dernier soutenait que : (i) la convention individuelle de forfait annuel en heures n’autorisait pas le salarié à méconnaître les directives de l’employeur fixant temporairement un créneau horaire collectif dans l’entreprise et, (ii) dans l’exercice de son pouvoir de direction, l’employeur pouvait soumettre au moins temporairement un salarié bénéficiant d’une convention de forfait annuel en heures à un nouveau créneau de travail, à condition que cette mesure soit motivée par l’intérêt de l’entreprise et qu’elle soit justifiée par des circonstances exceptionnelles.

La décision, son analyse et sa portée

Au visa de l’article L. 212-15-3, devenu L. 3121-38 et suivants du Code du travail dans leur rédaction alors applicable, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse en toutes ses dispositions l’arrêt rendu aux motifs suivants :
« une convention individuelle de forfait annuel en heures n’instaure pas au profit du salarié un droit à la libre fixation de ses horaires de travail indépendamment de toute contrainte liée à l’horaire collectif fixé par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction ».


La Cour de cassation pose le principe selon lequel le forfait annuel en heures n’affranchit pas le salarié de son obligation de respecter les horaires collectif de travail que l’employeur peut fixer dans le cadre de son pouvoir de direction, notamment s’il doit faire face à des contraintes de production.

• Les conditions de mise en œuvre du forfait annuel en heures

La possibilité de conclure une convention de forfait annuel en heures a été introduite par la loi du 19 janvier 2000, relative à la réduction négociée du temps de travail. La loi du 20 août 2008 a quant à elle redéfini les règles applicables à ce mode d’aménagement individuel de la durée du travail.


En l’espèce, la convention individuelle de forfait avait été conclue antérieurement à la loi du 20 août 2008, ce qui explique que la Cour de cassation se soit fondée sur les articles L. 3121-38 et suivants du Code du travail.

Le forfait annuel en heures permet à l’employeur de fixer le nombre d’heures de travail que le salarié doit effectuer chaque année sans prévoir de répartition hebdomadaire ou mensuelle de ces horaires. Cette modalité d’organisation du temps de travail ne peut être appliquée à l’ensemble des salariés.


Avant la loi du 20 août 2008, seuls pouvaient conclure des conventions individuelles de forfait en jours, (i) les salariés cadres au sens de la convention collective applicable au sein de l’entreprise ou de la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 ainsi que (ii) les salariés itinérants non cadres dont la durée du travail ne pouvait être prédéterminée ou qui disposaient d’une réelle autonomie.

Depuis la loi du 20 août 2008, le forfait annuel en heures concerne les cadres dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service, ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ainsi que les salariés disposant d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps(2).

La mise en place d’une convention de forfait annuel en heures est subordonnée à la conclusion d’un accord collectif d’entreprise, d’établissement ou, à défaut, de branche. Conformément à l’article L. 3121-39 du Code du travail, l’accord doit déterminer les catégories de salariés concernés, la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi et les caractéristiques principales de ces conventions. Avant la loi du 20 août 2008, l’accord pouvait prévoir des limites journalières et hebdomadaires se substituant aux durées légales, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Les salariés ayant conclu des forfaits annuels en heures appliquent les dispositions relatives à la durée du travail et notamment les durées maximales hebdomadaires, journalières, le repos quotidien et hebdomadaire. En outre, la mise en place d’un forfait annuel en heure suppose l’accord exprès du salarié et donc la conclusion d’une convention individuelle de forfait en heures.

En l’espèce, la possibilité de conclure une convention individuelle de forfait en jours était prévue par l’accord de branche applicable au sein de la société, à savoir la Convention collective nationale de la métallurgie. L’employeur avait conclu avec le salarié une convention individuelle par la voie d’un avenant. La validité de la convention individuelle de forfait en heures n’était donc pas remise en cause dans le cadre du litige. En réalité, la question posée à la Cour de cassation portait exclusivement sur la faculté pour l’employeur d’imposer unilatéralement un horaire d’arrivée au salarié.

• L’autonomie limitée des salariés soumis à une convention de forfait en jours

La question soumise à la Cour de cassation pouvait paraître délicate à résoudre. En effet, comme cela a évoqué précédemment, la possibilité de conclure une convention individuelle en heures suppose que le salarié dispose d’une certaine autonomie pour accomplir ses fonctions. Or, le fait d’imposer à un salarié un horaire collectif pourrait conduire à reconnaître qu’en réalité, le salarié ne bénéficie d’aucune autonomie. C’est en tout cas, ce qu’avait reconnu à plusieurs reprises la Cour de cassation concernant des salariés devant être présents pendant les horaires d’ouverture d’un magasin(3).


À titre d’exemple, dans un arrêt du 27 mars 2013, la Cour de cassation avait jugé que « le salarié devaient être présent pendant les horaires d’ouverture du magasin compte tenu de la nature et du nombre de tâches qu’il avait à assumer, des exigences de sa fonction définies par une note de service ainsi que des effectifs dont il disposait, la cour d’appel a pu décider que le salarié ne jouissait pas de l’autonomie nécessaire dans l’organisation de son travail pour pouvoir relever d’une convention de forfait en heures sur l’année »(4).

Dès lors, il pouvait se déduire de ces arrêts que l’employeur ne pouvait aucunement imposer un horaire collectif de travail à un salarié sans remettre en cause la validité de la convention de forfait en heures.

Ce n’est manifestement pas la solution retenue par la Cour de cassation qui affirme que le forfait annuel n’instaure pas un droit à la libre fixation de ses horaires par le salarié. Ainsi, l’employeur peut imposer au salarié de commencer sa journée de travail à un horaire fixe sans que cette décision ne constitue une modification du contrat de travail. En effet, l’autonomie dont dispose le salarié dans le cadre d’une convention de forfait annuel en jours ne l’autorise pas à refuser d’appliquer les directives de l’employeur dès lors que cette décision est justifiée par l’intérêt de l’entreprise. Or, en l’espèce, la décision de la société d’imposer un horaire d’arrivée au salarié reposait sur un motif légitime, la mise en place de deux équipes de production devant permettre de résorber les retards accumulés.

D’un point de vue pratique, cette solution doit être approuvée. En effet, la solution inverse aurait pu conduire un salarié soumis à une convention de forfait à revendiquer la possibilité de travailler la nuit ou encore le week-end. Or, dès lors que ce dernier est amené dans le cadre de ses fonctions à encadrer une équipe, une telle liberté apparaît difficilement conciliable avec les contraintes d’une entreprise.

En outre, il convient de rappeler que l’employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat et, à ce titre, il lui appartient de veiller au respect des durées maximales de travail(5). Ainsi, il ne peut être envisagé de laisser au salarié une totale liberté concernant la fixation de ses horaires de travail alors même que la responsabilité de l’employeur pourrait être engagée. À défaut, le salarié pourrait exercer son activité en totale indépendance sans lien de subordination, ce qui est manifestement contraire à la définition même de la relation de travail.

Néanmoins, cet arrêt ne manque pas de surprendre et conduit à s’interroger sur les limites pouvant être imposées au salarié par l’employeur. Ce dernier, s’il peut imposer un horaire d’arrivée à ses salariés, peut-il également imposer un nombre minimum d’heures à accomplir dans une journée de travail ? Cette solution est-elle transposable aux salariés soumis à une convention de forfait en jours ?

Il faut également souligner que l’employeur dans son pourvoi insistait sur le fait que cette modification n’était que temporaire. La Cour de cassation ne reprend pas expressément cet argument. Faut-il en déduire que l’employeur pourrait imposer une modification pérenne des horaires de travail ?


En tout état de cause, le pouvoir de direction de l’employeur prime sur la liberté du salarié bénéficiant d’une convention individuelle de forfait en heures. Ce dernier ne peut donc invoquer une modification de son contrat de travail nécessitant son accord pour justifier son refus de se soumettre aux directives de son employeur afférentes à un changement temporaire des horaires de travail. L’argument aurait pourtant pu aboutir. En effet, il n’est pas inutile de rappeler que l’employeur ne peut imposer une modification de son contrat de travail à un salarié et que tout licenciement fondé uniquement sur le refus du salarié d’accepter une modification de son contrat de travail est sans cause réelle et sérieuse(6).

Toutefois, la Cour de cassation, sans s’étendre sur la modification du contrat de travail, considère que, dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur peut fixer un horaire de travail. Il convient d’en déduire que la modification envisagée constituait en réalité une simple modification des conditions de travail.

La cour d’appel de renvoi devrait conclure que le salarié, en refusant de se soumettre à l’horaire imposé temporairement par l’employeur, a fait preuve d’insubordination et juger que le licenciement prononcé est fondé sur une faute grave.
En définitive, un salarié ayant conclu une convention de forfait en heures doit respecter les contraintes inhérentes à son poste et doit se soumettre au pouvoir de direction de l’employeur qui peut lui imposer, au moins temporairement, des horaires de travail.

TEXTE DE L’ARRÊT

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X... a été engagé le 1er mars 1999 par la société Taramm en qualité de contrôleur ; que, par avenant contractuel signé le 25 janvier 2006, il a été convenu que compte tenu de l’autonomie effective de l’intéressé dans l’organisation de son emploi du temps et du caractère non prédéterminé de sa durée du travail, il occupera le poste de chef d´équipe fusion sur la base d´un forfait en heures sur l’année de 1767 heures ; que pour faire face à des problèmes de production, il a été décidé de la constitution au sein de l’atelier-fusion de deux équipes afin d´augmenter la plage horaire de travail, le salarié dirigeant une équipe tout en conservant sa responsabilité sur l’autre ; que le salarié, invoquant la liberté d´horaires prévue par la convention de forfait annuel en heures et la modification de son contrat de travail, a continué de se présenter à son poste de travail à 8 heures 30 malgré plusieurs lettres lui enjoignant de respecter les nouveaux horaires ; qu’il a été licencié pour faute grave le 18 février 2009 ; qu’il a saisi la juridiction prud´homale de diverses demandes ;
Sur le premier moyen :

Vu l’article L. 212-15-3, devenu L. 3121-38 et suivants du code du travail dans leur rédaction alors applicable ;
Attendu que pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner l’employeur à payer au salarié diverses sommes à ce titre, l’arrêt retient que l’avenant du 25 janvier 2006 prévoit expressément que la durée du travail du salarié ne peut être prédéterminée et que celui-ci bénéficie d´une réelle autonomie dans l’organisation de son emploi du temps, que dans ces conditions, le fait de lui imposer de respecter des horaires fixes constitue une modification du contrat de travail supposant l’accord exprès du salarié et enfin que l’employeur ne peut reprocher au salarié de ne pas effectuer un travail qui commence nécessairement à un horaire fixe alors qu’il avait reconnu à l’intéressé l’autonomie dans l’organisation de son emploi du temps ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’une convention individuelle de forfait annuel en heures n’instaure pas au profit du salarié un droit à la libre fixation de ses horaires de travail indépendamment de toute contrainte liée à l’horaire collectif fixé par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction, la cour d´appel a violé le texte susvisé ;
Sur le second moyen :
Vu l’article 624 du code de procédure civile ;
Attendu que la cassation à intervenir sur le premier moyen emporte la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif critiqués par le second moyen relatif aux dommages-intérêts pour préjudice moral distinct de la rupture du contrat de travail ;

PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 13 décembre 2012, entre les parties, par la cour d´appel de Toulouse ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d´appel de Bordeaux ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux juillet deux mille quatorze.

Notes
(1) CA Toulouse, 13 déc. 2012, no 11/03279.
(2) C. trav., art. L. 3121-42.
(3) Cass. soc., 23 juin 2004, no 02-14.861 ; Cass. soc. 27 juin 2012, no 11-12.257.
(4) Cass. soc., 27 mars 2013, no 11-21.200.
(5) Cass. soc., 31 octobre 2012, no 11-20.136.
(6) Cass soc., 7 juill. 1998, no 96-40.256 ; Cass. soc. 21 janv. 2003, no 00-44.364.
Cass. soc., 2 juill. 2014, pourvoi no 13-11.904, arrêt no 1325 FS-P+B
Auteur : Philippe Pacotte Avocat associé Stéphanie Daguerre Avocat
Jurisprudence Sociale Lamy, n°372
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